La cote du Mont Dore au sommet de laquelle sera situé l’arrivée de la 10ème étape du Tour de France 2025 constitue le début des choses sérieuses. L’étape semble courte, mais le dénivelé est digne des étapes de haute montagne. 165 km pour 4450 mètres de dénivelé. Les deux dernières cotes sont le col de la Croix St Robert, avec ses virages et son bitume impeccable, seulement 4.65 km à 6.7 % de pente. Il faudra enchainer rapidement après une courte descente de 5 ou 6 minutes avec la montée finale du Mont Dore. Cette dernière mesure exactement 3.24 km avec un dénivelé de 252 mètres, soit environ 7.8%.
Reconnaissance
J’ai eu le loisir de refaire cette ascension que je connais bien avec mon vélo équipé d’un capteur de watts pour vérifier les calculs de puissance, en validant notamment la qualité du bitume. Mon Scx, lorsque je monte seul en position mains aux cocotes, est de 0.375 ; les cyclistes professionnels ont une position assise avec un guidon plus bas, leur donnant un Scx de l’ordre de 0.3 à 0.35. Le bitume est bon, mais pas incroyable ; il comporte des irrégularités fréquentes, on peut lui donner au mieux le coefficient de roulement de 0.005. Je roule sur un vélo de la marque Origine, avec cadre en carbone, des pneus de 28 mm Continental GP 5000 et des roues en carbone de 50 mm. La température était de 17°. Le poids total vélo + 2 bidons de 1 litre + chaussures, casque, vêtements + accessoires + moi = 86 kg.

Le calcul avec notre simulateur donne 274 watts, alors que mon capteur donne 278 watts. Le résultat du calcul est donc fiable avec une précision de plus ou moins 5 watts. En puissance « Étalon 70 kg » cela donne 252 watts pour une vitesse de 13.6 km/h
Pronostique :
Les quelques mutants du cyclisme peuvent monter cette cote en moins de 7 minutes et 30 secondes, soit presque 26 km/h. Cela représente pour un cycliste qui monte seul sans abris une puissance d’environ 526 watts. Tadej Pogacar en est capable, on l’a vu absorber la cote de Domancy à 522 watts pendant 6’14 » lors du Dauphiné Libéré il y a quelques semaines. Si ce dernier attend la montée finale pour faire son effort, on pourrait le voir monter en environ 7’15 », soit une puissance étalon de 550 watts. Toutefois, l’étape est vraiment usante, il n’y a pas de grandes descentes et de vallées pour récupérer pendant 20 à 30 minutes, et si l’engagement dans le col précédent, de la Croix St Robert est déjà maximal, on pourrait voir un temps de montée un peu moins rapide autour de 7’45 » pour les premiers, soit environ 500 watts à 25 km/h.
Terminer en 7’45 » à 500 watts (7 watts par kg) constitue une puissance folle à la fin d’une étape aussi difficile. Sans fatigue, ce type d’effort est accessible à de nombreux cyclistes faisant partie du top niveau mondiale. En revanche, monter en 7’30 » au vue des efforts précédents, c’est être dans la zone rouge. Si l’on voit des cyclistes approcher les 7’15 », on entre dans la catégorie des mutants.
La météo pourra aussi fausser la donne, s’il fait un temps exécrable avec de la pluie, ou 32°, les temps peuvent être augmentés d’une quinzaine de secondes. Une canicule dans la région pourra être redoutable, c’est d’ailleurs ce qui est annoncé pour le WE du 14 juillet 2025. Les performances en seront affectées et le peloton va vraiment souffrir de la chaleur bien plus que dans les Alpes, car les altitudes sont moindres dans le Massif central.
Résultat de l’étape
Les deux leaders ne se sont pas réellement employés. Tadej Pogacar place une attaque tranchante pour créer la cassure, puis termine en mode « contrôle » en 8’17 ». Les deux ovnis se font même dépasser par Lenny Martinez, c’est dire à quel point ils se sont marqués dans ce final. Et pourtant, dès l’accélération de Tadej, on constate que Evenepoel, Lipowitz ou les autres ne peuvent pas suivre. La puissance moyenne de Pogacar dans l’ascension reste pourtant de 457 watts plus ou moins 5 (référence pour un coureur de 70 kg) pendant 8’17 ». Notre modèle est fiable, puisque la puissance de Joseph Blackmore est publiée à 371 watts pour 66 kg, et notre calcul donne exactement 371 watts pour une montée en 9’36 ». Quant à Tobias Johannessen il développe 412 watts pour un poids annoncé de 62 kg contre 412 calculés et 457 watt étalon 70 kg.

Bref, on voit bien que tenir 460 watts pendant 8 minutes en fin d’étape constitue un effort relativement tranquille pour Pogacar, tandis que tous les autres prétendants au podium étaient à la rupture et n’ont pas pu suivre. La différence de niveau est criante entre le duo de choc et le reste des prétendants au podium. Il est évident que ni Pogacar ni Vingegaard ne se sont livrés à fond. De toute évidence, l’équipe UAE ne souhaitait pas conserver le maillot jaune, et l’équipe Visma semble hésitante, jouant l’étape à l’avant avec Simon Yates, qui effectue la montée en 8’44 » à 435 watts (référence pour un coureur de 70 kg), sans le moindre rictus de fatigue.
Le col de la Croix St Robert
Ce col se trouve juste avant la montée finale, il faudra enchainer avant la montée finale avec une courte descente qui va durer environ 6 minutes. Le temps de récupération est court.

Il mesure en réalité 4,65 km, depuis le carrefour venant du Lac Chambon. C’est ici qu’il faut déclencher les chronomètres. La pente est de 6,7 %. Le bitume est bon, car le col sert tous les ans pour la course de côte automobile le 15 août. Le coefficient de roulement peut être estimé à 0,005, la température était de 16 °C. La puissance calculée est de 265 watts pour 270 watts mesurés. Là encore, le modèle est assez précis avec une différence de 5 watts.
Ce col peut être monté en moins de 11 minutes si la bagarre s’engage, soit une puissance de 450 watts étalons pendant 10 minutes. À ce rythme-là, plusieurs coureurs sont capables de tenir le rythme, mais si Pogacar ou Vingegaard envoient du bois, ils peuvent parvenir à monter le col en 10’15 » à 490 watts.
Analyse de l’étape : 323 watts pour Ben Healy
Cette étape est intéressante à analyser, car plusieurs coureurs comme Ben Healy et Joseph Blackmore qui étaient dans l’échappée ont publiés la puissance développée tout au long de l’étape sur Strava. Nous avons aussi à notre disposition la puissance de Kevin Vauquelin qui se trouvait dans le peloton. Or ce que pouvons observer est très intéressant, car les puissances moyennes pondérées1 de Kevin Vauquelin et Ben Healy sont similaires, de l’ordre de 324 watts. Le premier pèse environ 69 kg et le second 65 kg2. Ce qui nous permet d’estimer la puissance à 4.7 watts pour Kevin Vauquelin par kg et 4.95 pour Ben Healy. Il est logique que Ben Healy ait développé une plus grande puissance relative, car ce dernier a du s’employer pendant une trentaine de km pour aller chercher le maillot jaune. D’ailleurs Ben Healy à produit 4552 kilojoules3 contre 4367 pour Vauquelin.
Pour Joseph Blackmore, la puissance pondérée est de 316 watts pour une dépense de 4597 kilojoules.
Les puissances relevées dans cette étape s’inscrivent globalement dans le cadre de la physiologie humaine connue. Elles sont bien sûr de très haut niveau, et témoignent d’un engagement maximal de la plupart des coureurs pour boucler une étape exigeante. Kevin Vauquelin, par exemple, développe 381 watts pendant 11 minutes 24 secondes dans le col de la Croix Saint-Robert, et pourtant se retrouve en difficulté. Cela indique non seulement un épuisement des réserves énergétiques, mais aussi un plafonnement de sa capacité physiologique réelle — ce qu’on appelle communément un humain.
Même constat pour Ben Healy, dont la performance, loin d’être hors normes, est surtout le fruit d’une décision tactique : UAE n’a pas souhaité conserver le maillot jaune. Et que dire de Joseph Blackmore, qui termine rincé, en sortant 371 watts pendant 9 minutes 36 dans la montée finale. Il semble avoir donné ce qu’il lui restait. Pas de mystère, pas d’extra-terrestre ici.
Mais ce qui retient l’attention, c’est bien la manière dont Tadej Pogačar aborde cette montée finale. Avec environ 457 watts pendant 8 minutes 17, il termine en apparence sans forcer, s’abritant dans la roue de Lenny Martinez, après avoir placé une attaque sèche et symbolique, façon « c’est moi le patron ici ». Un mouvement de domination typique, manifestement déclenché par quelques velléités de Remco Evenepoel et Florian Lipowitz — tentatives courageuses mais qui relèvent de l’autodafé énergétique.
Cette attaque semble moins motivée par une nécessité tactique que par un léger accès d’ego — ce qui, chez Pogačar, contraste quelque peu avec l’image médiatique du coureur humble et décontracté. Il ne fait guère de doute que l’équipe UAE, peu désireuse de prendre le maillot jaune si tôt, a rappelé son leader à l’ordre : « Tadej, mollo, laisse Healy prendre le maillot. » Résultat : relâchement total, remontée par un Lenny Martinez en bout de souffle. Mise en scène parfaite.
Sur le plan physiologique, cela donne un tableau saisissant : là où les autres explosent en bout de course en zone 3 (épuisement énergétique), Pogačar semble encore flotter en zone 2 (endurance sans épuisement énergétique). À environ 320 watts en moyenne sur l’étape, il reste dans des intensités durables, sans ponction majeure de ses réserves. Et c’est bien là que le bât blesse. Car si une telle fraîcheur, un tel contrôle en haute montagne — sur des efforts proches du seuil — devient la norme pour un coureur, alors nous ne sommes plus tout à fait dans le registre du physiologique.
En résumé : la plupart ont roulé au maximum de leurs capacités, Tadej semble avoir roulé en mode « endurance de base », s’autorisant une petit déblocage en fin de course. Ce n’est pas normal. Et ce n’est pas non plus anodin.
- La puissance pondérée est la puissance ressentie, car si l’on descend à 100 watts et que l’on monte à 300 watts, la moyenne théorique sera 200 watts, tandis que la puissance ressentie ou pondérée sera 230 watts. Cette puissance pondérée est calculée sur Strava, elle est similaire à la puissance normalisée et le X-power sur d’autres logiciels. ↩︎
- Il est probable que ces deux coureurs pèsent 1 ou 2 kg un peu moins que les poids annoncés sur le web. Ce qui ne change pas les interprétations de manière significatives ↩︎
- Le kilojoule est la quantité d’énergie produite par le cycliste ↩︎
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Hâte de lire votre analyse après l’étape et de pouvoir comparer ! Merci beaucoup pour ce que vous faites, c’est aussi intéressant d’un point de vue sportif que salutaire !!
Excellente idée. J’ai hâte d’en faire l’analyse avec tes outils, mais il n’y aura pas trop de surprise avec pogacar.
Merci pour votre précieux travail