Article provisoire, une vidéo et des compléments arrivent dans les jours à venir.
La toute première ascension d’Hautacam remonte à 1994. Cette étape était plate et ne comportait que l’ascension d’Hautacam comme ultime difficulté du jour. Les coureurs arrivaient donc avec peu de fatigue au départ de cette côte de 13.8 km à 7.7 % de moyenne (Voir Strava). L’ascension fut dominée par 2 coureurs, Marco Pantani, vainqueur moral, et Miguel Indurain qui assura l’essentiel du train avec dans sa roue quelques coureurs qui se sont accrochés, dont Richard Virenque, Armand De Las Cuevas et Luc Leblanc qui remporta finalement l’étape. Vous pouvez revoir cette étape en vidéo ici. Le temps d’ascension était de 35’19 » dans des conditions de fraicheur favorable à l’effort. Ce jour là 21 coureurs montaient en moins de 38 minutes. Nous étions en pleine euphorie d’un peloton sous perfusion d’EPO.
L’ascension sera encore plus percutante en 1996, sous l’influence du rouleaux compresseur Bjarne Riis qui montait en 34’40 » avec une température comprise entre 25 et 20°. Cette année là seulement 14 coureurs passaient sous la barre des 38 minutes.
La barre des 38 minutes comme limite de la performance humaine
Voici quelques repères avec les meilleurs temps et les puissances associées depuis 1994.
1994 | Leblanc, Indurain, Pantani | 35’20 » | 452 ± 7 | Apogée de l’ère EPO, 20 coureurs sous les 38’00 » |
1996 | Riis | 34’40 » | 460 ± 7 | Apogée de l’ère EPO, 14 coureurs sous les 38’00 » |
1996 | Virenque, Dufaux, Leblanc | 35’40 » | 445 ± 7 | Apogée de l’ère EPO, 14 coureurs sous les 38’00 » |
2000 | Armstrong | 36’20 » | 435 ± 7 | Pluie, route très humide. 6 coureurs sous les 38′. |
2008 | Piepoli, Jose Cobo | 37’32 » | 420 ± 7 | Équipe disqualifiée, dopage EPO (Saunier Duval de Gianetti) |
2014 | Nibali | 37’25 » | 422 ± 7 | Seul sous les 38′. Jamais impliqué dans le dopage. |
2014 | Pinot, Perraud | 38’35 » 38’41 » | 405 ± 7 | Jamais impliqués. Puissances publiées en carrière. |
2014 | Bardet, Mollema | 39’18 » | 395 ± 7 | Température 19°C. Jamais impliqués dans le dopage. |
2022 | Vingegaard | 36’41 » | 430 ± 7 | Un seul coureur sous les 38′. Questions ouvertes. |
2022 | Pogacar | 37’43 » | 416 ± 7 | Défaillance. Jamais impliqué, mais questions posées. |
2022 | Gaudu | 39’04 » | 398 ± 7 | Jamais impliqué dans une affaire de dopage. |
2025 | Pogacar | 35’23 » | 451 ± 7 | Température moyenne 28°. Montée seul sans abris 95% du temps. |
2025 | Vingegard | 37’34 » | 420 ± 7 | Température moyenne 28°. Montée seul sans abris 95% du temps. |
2025 | Lipowitz | 37’56 » | 412 ± 7 | Température moyenne 28°. Montée seul sans abris 75% du temps. |
2025 | Onley, Johannessen | 38’06 » | 408 ± 7 | Température moyenne 28°. Montée seul sans abris 50% du temps. |
2025 | Evenpoel, Vauquelin | 38’40 » | 395 ± 7 | Température moyenne 28°. Montée seul sans abris 50% du temps. |
Ce qui est frappant c’est le nombre de cyclistes capables de monter en moins de 38 minutes. Il étaient 15 à 20 dans les années 90 et une poignée dans les années 2010 et et seulement 1 ou 2 en 2014 et 2022. Toutefois, nous avons tout de même une performance douteuse de Jonas Vingegaard en 2022 sur une étape très difficile avec une température de 24° au sommet d’Hautacam cette année là. Ce jour là il rivalise avec Lance Armstrong.
Le deuxième point important réside dans la température de l’ascension. En 1996 et en 2022, la température de la montée était de l’ordre de 22°. Aujourd’hui, le 17 juillet 2025, la température au sommet est de 25° et 30° en bas, soit 27-28° en moyenne. Les coureurs ont énormément souffert de la chaleur et les efforts d’endurance extrême deviennent bien plus difficiles dans ces conditions-là. C’est en cela que la performance de Tadej Pogacar relève de la science fiction.
Le temps de mutant de Pogacar : 35’23 »
Et bien non, le record n’est pas battu, mais la performance de Tadej Pogacar rivalise en réalité avec l’ascension de Bjarne Riis, car les conditions thermiques étaient bien plus difficiles en ce jour qu’en 1996. De plus, Pogacar a fait 95 % de la montée tout seul sans abri, tandis que Bjarne Riis a passé plusieurs km dans un groupe avec des coéquipiers.
La puissance calculée est donc de 455 ± 7 watts pendant 35′. Si l’on analyse la performance avec le détecteur de performance extra physiologique1, cela nous donne un coureur de catégorie « Mutant » disposant d’un VO2max de l’ordre de 100 ml / min / kg.
Les cyclistes sur cette étape ont tous souffert de la chaleur. Les conditions n’étaient pas favorables pour battre des records de puissance. Et pourtant, Tadej fut stratosphérique, et sa performance est, vous l’avez compris, plus que douteuse au regard de l’histoire de cette ascension. L’argument du matériel pour justifier cette performance est irrecevable, nous l’avons expliqué déjà dans un article et des ingénieurs comme Alban Lorenzini l’ont clairement démontré. La performance de Tadej Pogacar réalisée ce jour est du même ordre que celle de la montée du plateau de Beille en 2024 et de Valmeinier 2025 sur le Dauphiné. Il est tout seul.
Oscar Onley et Tobias Johannessen publient leurs données
Il est très intéressant et important que des cyclistes jouent la transparence. Bien que les deux cyclistes affichent sur le web un poids de 62 kg il est probable que Oscar Onley plus petit de 3 cm pèse plutôt 60 kg et non 62 kg comme Johannessen.
Sur l’ascension d’Hautacam ils ont développé 362 et 370 watts avec un temps de montée similaire de 38’06 ». Soit environ 408 watts étalon 70 kg2. Ces performances sont exceptionnelles, elles restent toutefois dans la zones hautes des limites des possibilités humaines.

On peut également constater que Kevin Vauquelin a publié la puissance de cette ascension (389 watts soit 395 watts étalon 70 kg) qu’il monta en 38’39 » en bénéficiant parfois de l’abri d’autres coureurs (Groupe Onley, puis Evenepoel), parfois de voiture et aussi de passage de bidon tracté que l’on a pu voir sur les images TV. Ce qui lui permet d’économiser une bonne dizaine de watts par rapport à un Tadej qui roula seul dans le vent durant l’essentiel de la montée.
- Le détecteur de puissance extra physiologique ne permet pas de garantir la probité d’un cycliste à coup sur. En effet, notre outils ne fait que détecter des performances que l’histoire du cyclisme et des pratiques dopantes en lien avec la physiologie humaine ne saurait atteindre sans le recours au dopage. Nous ne pouvons pas détecter un cycliste de bon niveau que le dopage rendrait exceptionnel par exemple. Nous pouvons par contre détecter un cycliste exceptionnel qui deviendrait hors norme ou mutant. ↩︎
- Théoriquement, on devrait avoir 420 watts étalons 70kg, toutefois en rapportant le poids de ces deux cyclistes pesant 60-62kg à un poids standard de 70 kg nous obtenons par calcul 408 watts dans notre calculateur de puissance. En effet, le poids des vélos est identiques pour les cyclistes alors que le poids des coureurs est différent, ce qui représente 11,4% du poids pour les coureurs léger et seulement 9.7% pour un cycliste de 70 kg. De plus, nous l’avons vu, les cyclistes léger doivent développer une plus grande puissance relative pour monter à une vitesse identique, on ramenant tous les cyclistes à 70 kg nous avons des valeurs comparables. ↩︎
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Bonjour, petite coquille dans les dates du tableau. 2025 et non 2024 (ils vont vite, mais pas au point de faire décoller la de Lorean vers le passé 😂)
Merci j’ai corrigé…
Il serait intéressant d’avoir la température des différents records Aussi quand on considère qu’avant Hautacam il y a eu 2 cols qui ont fait du dégât, comparé à certains records sur des étapes plus plate qui finissent en haut. Et une température de quasi 35° au départ à une allure relevé même dans si couvert par le peloton ça roule à 52km/h de moyenne sur le plat.
Le vent étant une donnée primordiale, quelles étaient les conditions de vent ?
Est-ce bien pris en compte dans les calculs, bien qu’il soit impossible de connaître précisément ses variations?
Oui on tient du compte du vent en calibrant le modèle sur des capteurs de puissances. En outre le vent était négligeable à Hautacam, ce qui n’est pas le cas au Ventoux en fin d’ascension.
Intéressant, mais quelques objections quand même, je suis pas totalement convaincu:
1) Le fait que Pogacar ait fait la montée seul me semble au contraire être un facteur explicatif de sa grosse puissance moyenne sur la montée: si un coureur capable de développer une très grosse puissance fait une partie de la montée derrière des coureurs qui lui sont inférieurs, ça le ralentit sur cette partie là de la montée, et donc, sur la totalité de la montée, ça le fait avoir une puissance moyenne inférieure à celle qu’il aurait eu s’il avait tout fait tout tout seul, plein pot (à condition d’être capable de tenir cette puissance sur la durée, bien sûr). Et c’est pas un gros handicap d’être seul, vu que la vitesse reste faible dans une montée comme Hautacam, et donc il n’y a pas tellement de phénomène d’aspiration.
2) La comparaison des nombres de coureurs sous les 38 minutes en 1994 et en 2014 témoigne assez clairement d’un dopage de masse dans les années 1990 versus un cyclisme plus propre en 2014. Mais si on compare 2014 et 2025, si on considère qu’un coureur propre est capable de faire la montée en moins de 38 minutes en 2014, le fait qu’il existe 3 individus capables de le faire en 2025 ne veut pas forcément dire qu’il y en a 2 sur les 3 qui sont dopés. On ne peut pas faire de statistiques valables avec un échantillon de coureurs aussi limité (1 en 2014 contre 3 en 2025). Au contraire, si on compare les 20 de 1994 et les 3 de 2025 (20 contre 3, ça commence à être significatif, comme différence), ça plaide pour un cyclisme globalement plus propre en 2025 qu’en 1994. Et du coup, s’il y a vraiment un truc pas net derrière les performances de Pogacar, j’ai du mal à croire qu’il arrive à garder ce truc pour lui tout seul. Et si beaucoup d’autres profitaient de ce truc, il y aurait sans doute plus de 3 gars sous les 38 minutes en 2025, comme en 1994.
3) L’argument qui consiste à dire (en gros: je caricature un peu le propos tenu dans la vidéo): Armstrong était dopé donc tous ceux qui font mieux que lui (Pogacar, par exemple) sont forcément aussi dopés ne tient pas à mon avis. On compare deux coureurs dont les niveaux de base sont différents. Il faut se rappeler qu’Armstrong, dans sa jeunesse, avait un niveau, en tout cas en montagne, qui n’avait rien à voir à celui qu’il a montré après 1999. Sauf erreur, Pogacar, lui, a été stratosphérique dès ses débuts.
Bref, ça n’efface pas les doutes, mais ces arguments me feraient plutôt, moi, croire à l’hypothèse du gars hors norme. Le fait de dire que c’est pas possible, comme c’est dit explicitement dans la vidéo, c’est de l’ordre de la croyance.
Et pour finir, une question qui m’est venue en regardant la vidéo, au passage sur l’évolution du matériel qui, selon certains, expliquerait que les coureurs n’auraient plus besoin d’être en danseuse (du pipeau, on est d’accord). Est-ce que, inversement, le fait de ne pas faire de danseuse sur la durée permet d’économiser de l’énergie de manière conséquente, et donc d’augmenter de manière significative la puissance moyenne développée, par exemple sur une montée comme Hautacam ? J’aurais tendance à penser qu’en danseuse, on fait faire au centre de gravité du corps des micro montées/descentes à chaque coup de pédale, et que du coup, ça revient à dépenser plus d’énergie, un peu comme si le dénivelé gravi était plus important que ce qu’il est réellement. Est-ce qu’on sait mesurer ça : la perte énergétique liée au fait de faire de la danseuse, versus rester sur sa selle, toutes choses égales par ailleurs ?
Bonjour, je suis tombé sur votre vidéo très intéressante et j’ai remarqué une petite erreur lorsque vous parlez de la rigidité des matériaux. En effet, le module de Young de l’acier est environ 3x supérieur à celui d’un composite à base de fibre de carbone (la fibre de carbone en elle-même a un module de Young pouvant atteindre 600 GPa soit 3x plus que l’acier) mais en comparant les masses volumiques, on se rend compte qu’elle est environ 4x plus faible que celle de l’acier (1,6-2,0 g/cm3 contre 7,5-8,1 g/cm3). Ainsi, en comparant deux cadres (un en carbone et un en acier) identiques géométriquement et de masses égales, celui en carbone se déformera moins puisqu’il aura beaucoup plus de matière. En prenant en compte que le carbone permet de faire varier les épaisseurs et d’obtenir des formes de cadre plus complexes, on peut comprendre comment on obtient des cadres carbone beaucoup plus légers que ceux en acier. Bien sûr, cela ne représente pas plusieurs dizaine de watts, mais cela permet de compenser le poids d’autres composants qui se sont alourdis notamment (les groupes 12v électriques par exemple) et/ou d’améliorer la transmission de puissance.
Encore merci pour votre contenu !
Merci pour cet article et la vidéo sur YouTube, un point matériel que vous n’avez pas évoqué, est la différence entre les braquets montagne et la cadence de pédalage des années 90 par rapport à aujourd’hui, ces braquets plus petits peuvent-ils avoir une influence sur la puissance développée ?