Pédaler ou courir ? Différences physiologiques entre cyclisme et course à pied

Auteur : Grégoire Millet

DOI: 10.53738/REVMED.2009.5.212.1564

Résumé

Cette revue compare les différences en termes de réponses systémiques (VO2max, seuil anaérobie, fréquence cardiaque et économie) et de mécanismes d’adaptation (réponses ventilatoires, hémodynamiques et neuromusculaires) entre cyclisme et course à pied. La VO2max est exercice-dépendante. Il y a davantage de transferts physiologiques positifs de la course à pied vers le cyclisme que l’inverse. Plusieurs différences sont discutées : la fréquence cardiaque maximale et sous-maximale est différente entre les deux activités. Le rendement est supérieur en course à pied. La ventilation semble davantage altérée par le cyclisme sous l’effet de contraintes mécaniques. La fatigue centrale et la baisse de la force maximale sont plus importantes après un effort prolongé en course à pied qu’en cyclisme.

Introduction

La performance en endurance dépend essentiellement de la consommation d’oxygène (VO2) que l’on peut soutenir et du rendement. Ces deux paramètres évoluent séparément selon que l’on s’entraîne en cyclisme ou en course à pied car les principaux facteurs (travail cardiaque ; réponse ventilatoire ; débit sanguin ; activité neuromusculaire) qui les déterminent sont différents entre ces deux activités. 1 Ainsi les cyclistes et les coureurs à pied vont développer à la fois des adaptations spécifiques (c’est-à-dire qui seront propres à leur sport) et des adaptations transférables. Certaines sont positives et facilitent l’entraînement croisé (c’est-à-dire dont les bénéfices proviennent de l’entraînement effectué dans une autre activité) ; d’autres vont rendre compliqué le passage d’une activité à une autre. Les différences entre cyclisme et course à pied peuvent s’appréhender de deux façons distinctes ; premièrement en comparant les réponses systémiques telle la VO2ou la fréquence cardiaque (FC) et ce aux intensités maximales comme sous-maximales ; deuxièmement, en étudiant distinctement les mécanismes sous-jacents d’adaptation.

Différences systémiques entre cyclisme et course à pied

Intensité maximale

Depuis longtemps, on considère que la VO2max est directement influencée par la masse musculaire active. Aussi, en règle générale lorsque les épreuves d’effort sont réalisées en course à pied sur tapis roulant, la VO2max est 10-15% supérieure que lorsque le test est réalisé sur ergocycle. Cependant, chez les sportifs ayant une pratique présente ou passée importante en cyclisme, la VO2max peut être similaire entre tapis roulant et ergocycle. Chez certains cyclistes très entraînés, la VO2max peut être 5-10% supérieure sur ergocycle.

Intensité sous-maximale

On considère qu’à une intensité modérée identique (par exemple, en pourcentage de la VO2max) l’exercice sous-maximal s’accompagne d’une consommation d’oxygène et d’une dépense énergétique supérieures en course à pied qu’en cyclisme.4 Ceci expliquerait que les consommations d’O2 post-exercice soient identiques 5 mais qu’à l’issue d’un exercice en cyclisme, la concentration de lactate soit supérieure. Ceci laisse à penser que la répartition entre contributions glycolytique (énergie anaérobie) et oxydative (énergie aérobie) est différente entre les deux activités. Ainsi, pour une même puissance développée ( 1 min à 250 W respectivement sur ergocycle ou sur un tapis roulant dont la vitesse était calculée en fonction du poids du sujet) la contribution anaérobie était supérieure en cyclisme qu’en course à pied (28% vs 17%).6

Oxydation des graisses

L’oxydation des graisses est plus importante pour les intensités supérieures à 50% de la VO2max en course à pied qu’en cyclisme. De plus, l’intensité qui correspond à cette oxydation maximale (c’est-à-dire Lipoxmax) est plus haute en course à pied qu’en cyclisme. On oxyde donc davantage de lipides pour une intensité et une durée d’exercice données et on en consomme sur une plage d’intensité plus large en course à pied qu’en cyclisme.

Ces différences d’ordre métabolique influencent la détermination du seuil lactique (c’est-à-dire intensité au-dessus de laquelle la lactatémie n’est plus stable) qui est généralement supérieur (exprimé en % de la VO2max) dans la discipline dans laquelle on s’entraîne prioritairement.7 Cependant la différence est plus importante chez les coureurs qui sont davantage pénalisés sur ergocycle que les cyclistes sur tapis roulant.8 Ceci s’accompagne d’une sensation de fatigue et d’inconfort plus importante chez les coureurs sur ergocycle que pour les cyclistes sur tapis roulant.

Application pratique. Il faut faire des épreuves d’effort prioritairement dans sa discipline (sur tapis roulant pour les coureurs et sur ergocycle pour les cyclistes). Sinon, il semble que les résultats sont plus exploitables pour un cycliste qui fait un test sur tapis que pour un coureur sur ergocycle où il est possible que la maximalité des facteurs métaboliques et hémodynamiques ne soit pas atteinte. Pour les athlètes s’entraînant dans les deux sports, il est recommandé de faire deux épreuves d’effort.

Chez les sportifs d’endurance, le seuil représente un très bon témoin d’apprécier l’aptitude à soutenir un % donné de la VO2max sur une durée longue.10 Ainsi une augmentation du seuil s’accompagne de la possibilité de soutenir une intensité plus élevée sur une durée fixe ou de pouvoir soutenir la même intensité sur une durée plus longue.

Fréquence cardiaque

La FC maximale (FCmax) est généralement plus élevée (~5%) en course à pied qu’en cyclisme.11 La relation entre FC et l’intensité de l’exercice (ou VO2) est différente selon l’activité12 et est influencée par la position corporelle ou les conditions environnementales. La FCmax est relativement stable pendant une saison aussi bien en cyclisme qu’en course à pied. La FC correspondant au seuil lactique est utilisée pour prescrire les intensités d’entraînement sous-maximales12 et est toujours légèrement supérieure en course à pied, en valeur absolue ou relative (% de la FCmax). Cette différence peut aller jusqu’à 20 bpm ( 149,9 ± 18,0 vs 169,6 ± 15,7 bpm-1).

Application pratique. Ceci montre clairement qu’il n’est donc pas possible de déterminer les FC correspondant aux différentes zones d’intensité d’entraînement dans chacun des deux sports à partir d’un seul test d’effort car même si l’on peut évaluer approximativement la FCmax (5-10 bpm de différence) il reste très imprécis de pouvoir apprécier la FC qui correspond aux intensités sous-maximales (jusqu’à 20 bpm de différence).

Rendement

Le rendement delta représente le ratio entre les changements respectifs du travail mécanique et de la dépense énergétique lors d’une épreuve à charge croissante.13 Le rendement est supérieur en course qu’en cyclisme.13,14 Il est probable que cette différence provienne essentiellement du stockage-restitution de l’énergie élastique dans la composante élastique des extenseurs des genoux ; phénomène qui existe en course à pied15 et non en cyclisme.14 Le coût énergétique de la course est fortement dépendant du coût à générer des forces pendant la phase de soutien et donc inversement proportionnel au temps de contact. Enfin, les différences en termes de patron ventilatoire peuvent elles aussi participer aux différences observées. Dans une étude contrôlant plusieurs facteurs d’influence comme la puissance métabolique ou la fréquence de cycle (de pédalage ou de foulée), Bijker et coll.13 ont confirmé que le rendement est moitié moindre en cyclisme qu’en course (25,7 vs 45,5%).

Mécanismes associés aux différences observées

Réponses ventilatoires

Il est bien connu qu’à une intensité autour de 60-70% de la VO2max aussi bien en cyclisme qu’en course à pied, on peut observer une baisse de la pression artérielle en O2 (PaO2) associée à une altération de la diffusion alvéolo-artérielle en O2. L’hypoxémie induite par l’exercice (HIE) se définit comme une diminution de la PaO2 supérieure à 10 mmHg. L’HIE est aggravée en cas d’hypoventilation relative et donc pourrait survenir plus souvent en cyclisme qu’en course à pied16 en ayant une origine mécanique : la position couchée du tronc «bloque» la cage thoracique et entrave le travail des muscles ventilatoires ; ceci entraînant un volume thoracique plus faible et une pression intrathoracique plus importante (phénomène plus marqué en position dite «de triathlète»). Le rôle du diaphragme est primordial pour expliquer les différences en termes de réponses ventilatoires entre les deux activités. Logiquement, la fatigue des muscles respiratoires est plus importante en cyclisme.17

Un autre facteur altérant les réponses ventilatoires en cyclisme provient indirectement du fait que l’efficacité de la pompe musculaire y est plus faible.18 En effet, le compartiment veineux perfusant les muscles des jambes, en particulier ceux des mollets constitue un réservoir de 70 cm3 qui fonctionne comme un «cœur périphérique». En se contractant, les muscles compriment les veines et favorisent le retour du sang veineux vers le cœur droit. La pompe musculaire (à laquelle on peut ajouter une «pompe plantaire») est d’autant plus efficace que le mouvement est rythmé et qu’il s’accompagne de fortes contractions répétées comme pour la course. L’efficacité plus basse de la pompe musculaire en cyclisme limite le retour veineux vers le cœur et donc entraîne aussi un volume sanguin pulmonaire plus faible qu’en course à pied.

Application pratique. Pour les personnes affectées de problèmes respiratoires, il faut prendre en compte que la ventilation est plus fortement contrainte en cyclisme qu’en course à pied.

Débit sanguin central et périphérique

Lorsque l’on commence (ou reprend) l’entraînement en endurance, l’augmentation de la VO2max provient pour l’essentiel de l’augmentation du débit cardiaque maximal lui-même influencé davantage par l’augmentation du volume d’éjection systolique (VES) que par l’augmentation de la différence artérioveineuse en O2. En cyclisme comme en course à pied, le débit cardiaque est un facteur majeur de la VO2max mais le VES est en général plus élevé en course qu’en cyclisme, ce qui explique partiellement les différences de VO2max généralement observées entre les deux sports. Ainsi Faulkner et coll.19 ont montré que les VO2max plus faibles en cyclisme étaient expliquées par les VES alors que les différences artérioveineuses en O2 étaient similaires entre les deux activités. Donc globalement, les valeurs de VO2max plus basses en cyclisme sont dues à des débits cardiaques plus faibles. Ceci est causé par le retour veineux diminué discuté précédemment. Le niveau de perfusion sanguine est aussi différent entre les deux sports.18 A ceci il convient d’ajouter les effets positifs de la diminution des pressions intrathoraciques, de la vasodilatation sous influence neurochimique et d’une diminution des résistances périphériques qui sont à l’avantage de la course à pied. Tous ces mécanismes sont plus importants pour les contractions rythmiques que pour les contractions isométriques. Le fait que l’efficacité de la pompe musculaire soit supérieure en course à pied vient de plusieurs mécanismes : premièrement, la pompe musculaire est directement influencée par la fréquence de foulée ;20 deuxièmement, son efficacité est supérieure en position debout ; enfin, le type de contraction pendant la course à pied (de type cycle-étirement-raccourcissement) s’accompagne de la libération de substances chimiques en réponse à l’inflammation (eNOS et interleukine-1-bêta) qui induit une augmentation du flux sanguin.21 Ainsi, Matsui et coll.22 ont rapporté que le débit total sanguin perfusant le membre inférieur immédiatement après un exercice était plus faible pour le cyclisme que pour la course à pied. Il convient néanmoins d’être prudent car les comparaisons directes en termes de perfusion pendant l’exercice n’ont jamais été réalisées.

Application pratique. Le débit cardiaque est plus important en course à pied car le volume d’éjection systolique et l’efficacité de la pompe musculaire périphérique sont supérieurs. Cette activité sollicite davantage le système cardiovasculaire que le cyclisme.

Activité et fatigue neuromusculaire

Il a été suggéré que les différences physiologiques observées entre cyclisme et course à pied proviendraient pour l’essentiel de la perception subjective de la difficulté (ou pénibilité) de l’effort qui serait plus importante en cyclisme9 et où elle semble davantage déterminée par des facteurs musculaires alors qu’en course à pied, ce seraient les informations centrales et/ou métaboliques qui priment.

Le régime de contraction musculaire étant différent entre cyclisme (essentiellement concentrique) et course à pied (de type étirement-raccourcissement et intégrant donc une phase excentrique), les altérations structurelles et les adaptations nerveuses sous l’effet de la fatigue sont elles aussi très probablement différentes.23 En course à pied, la diminution de la force est proportionnelle à la durée de l’exercice alors que c’est beaucoup moins évident en cyclisme. Ceci provient de contributions entre fatigue centrale (nerveuse) et fatigue périphérique (musculaire) différentes entre cyclisme et course à pied. Sur des épreuves de longue durée (> 4 h), une baisse du niveau d’activation centrale a été observée en course à pied alors que cette manifestation de la fatigue centrale n’était pas rapportée en cyclisme. Cependant, ce déficit d’activation était observé en cyclisme à haute intensité et pourrait avoir alors des causes métaboliques (augmentation des métabolites et de l’acidose). Pour ce qui est de la cellule musculaire, aucune différence notable entre cyclisme et course à pied n’a été observée en ce qui concerne la diminution de la vitesse de propagation des potentiels d’action ou la baisse de l’excitabilité de la membrane musculaire. Schématiquement, les altérations situées après la jonction neuromusculaire ne semblent donc pas présenter de grandes différences entre cyclisme et course à pied.

Application pratique. La fatigue neuromusculaire est plus importante en course à pied qu’en cyclisme lors d’efforts prolongés. Ceci correspond davantage à des différences en termes de commande centrale que d’altérations musculaires au sens strict.

Implications en termes de conseils d’entraînement

La contribution anaérobie étant supérieure en cyclisme qu’en course, les coureurs à pied pourraient faire des séances très intenses d’interval-training en cyclisme (ergocycle ou en côte). Les pratiques actuelles vont plutôt dans l’utilisation du cyclisme pour réduire le kilométrage couru et les risques de blessures musculaires et tendineuses qui vont avec.

La course à pied favorise davantage la lipolyse que le cyclisme. Pratiquement, il est donc conseillé en salle de fitness de marcher ou courir sur un tapis plutôt que de pédaler sur ergocycle. Le bémol est que l’exercice prolongé est plus accessible en cyclisme (sport porté) qu’en course à pied (fortes sollicitations articulaires). La solution passe sans doute par une alternance entre marche avec bâtons à plat, en côte avec course lente et des séquences de repos ou d’étirements puisque l’on sait qu’alterner des séquences plus courtes (20-30 min) optimise l’oxydation des lipides par rapport à la même durée en continu.

Conclusion

Le cyclisme et la course à pied sont des vecteurs importants du sport-santé car parmi les deux activités les plus pratiquées en loisir. Des différences importantes existent là où on ne les attend pas nécessairement… en termes d’adaptations ventilatoires, hémodynamiques, neuromusculaires ou métaboliques. Il convient de préciser comment mieux tirer bénéfice de chacune de ces caractéristiques pour favoriser le développement de modalités de pratique (entraînement ; réentraînement ; réhabilitation) adaptées à chaque type de population.


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