Le mythe des vélos modernes pour expliquer les performances mutantes en cyclisme.

Ils sont nombreux, journalistes, cyclistes amateurs, entraineurs, membres des staffs techniques du cyclisme à clamer que le matériel a tellement évolué que cela permet de justifier les records battus à plate couture par Tadej Pogacar dans les montées du Tour de France. Pourtant, une étude réalisée par un expert des facteurs de performance en cyclisme, Frédéric Grappe, indique qu’entre un vélo de 1983 avec cadre acier (10 kg) et un vélo de 2009 (7 kg), cadre carbone, la différence dans un côté à 7,2% de 3 km, la différence n’est que de 18 secondes, soit une différence de 3 %. Ce qui revient à une économie de 9 watts sur 300. Si je cite cet exemple, c’est parce qu’il est encore plus tranchant qu’entre le vélo de Marco Pantani en 1998 (cadre alu, 6,9 kg) et les vélos modernes. En réalité, la différence entre un vélo de 1998 et 2024 est bien moindre qu’entre les deux vélos testés par Frédéric Grappe qui estime à 5 à 10 watts de gain vélos modernes par rapport à ceux des années 90.

D’un point de vue strictement mécanique, le rendement d’un vélo, c’est à dire la différence entre la puissance appliquée sur les manivelles et la puissance appliquée sur la route est de l’ordre de 97%. L’essentiel des pertes passe par la chaine dont le rendement est de 98%. Enfin il y a environ 1% de perte dans le cadre et sur la motricité appliquée sur le pneu arrière sur la route. En pratique, il n’est pas possible d’atteindre 100%. Et les gains possibles sont très faibles, tout au plus entre le vélo de route des années 90 et le vélo des 2010 et 2020 vous avez gagné 2 % (passant de 97 à 99%). De fait, si vous appliquez 400 watts sur les pédales en 2024 vous allez en restituer 396 sur la route, et si vous appliquez 400 watts avec un vélo des années 90 vous allez restituer 388 watts. Pour les cyclistes lambdas, la différence en termes de performance n’est pas significative. Elle l’est en revanche dans le sport de haut niveau, et permet de gagner par exemple une trentaine de secondes dans la montée de l’Alpe d’Huez.

D’un point de vue aérodynamique, un vélo des années 90 est effectivement moins aérodynamique qu’un vélo de 2024. Mais le vélo ne représente qu’une petite partie de la résistance air. La résistance de l’air sera d’autant plus importante que l’on roule vite. Ainsi à 20 kmh, la résistance de l’air peut être vaincue avec 30 watts, alors qu’à 40 kmh il faudra 240 watts pour vaincre la résistance de l’air. La part du vélo est d’environ 30%. Donc à 20 kmh, le vélo absorbe à peine 10 watts et environ 80 watts à 40 kmh. Les gains aérodynamiques sur le vélo peuvent atteindre au maximum 20% entre un vélo des années 90 et un vélo actuel, pour espérer plus, il faut des roues pleines, un cintre de CLM. Si bien que le cycliste va économiser 6 watts à 20 kmh et 48 watts à 40 kmh.

Les différences aérodynamiques des vêtements à vitesse lente sont très faibles, car dès les années 90, les cyclistes utilisent des maillots très proches du corps. (voir photo de Marco Pantani dans la montée du plateau de Beille en 1998 VS Pogacar). De plus, le casque de Pogacar par rapport au crâne chauve de Pantani constitue un surplus de trainées aérodynamiques. L’essentiel de la résistance de l’air vient de la forme du corps, l’écoulement sur les vêtements à 22 kmh représente une toute partie de la résistance. Pour réduire la résistance, se couper un bras serait plus efficace que les vêtements high tech modernes.

Le dernier élément sera l’amélioration des pneumatiques, mais là encore, à 20 kmh la résistance au roulement n’absorbe qu’une poignée de watts, environ 11 à 20 kmh et 23 watts à 40kmh. Et il n’est pas possible de gagner plus de 20% entre un pneu des années 90 et un pneu moderne. Soit au maximum 2 watts à 20 kmh ou 4 watts à 40 kmh.

Dans le meilleur des cas possibles dans un col monté à 20 kmh, l’économie maximales entre un vélo des années 90 et un vélo actuel est au maximum de 16 watts. (8 perdues dans la chaine et le cadre + 6 dans l’aérodynamique + 2 dans les pneus). Il est plus raisonnable de considérer une différence de 8 à 10 watts.

Au final, il n’est pas possible comme cela est affirmeé un peu partout, que depuis l’époque de Marco Pantani les vélos permettent d’économiser 40 à 50 watts. Une économie d’une dizaine de watts est ce qui sépare le vélo de Pogacar et celui de Marco Pantani. Et pourtant, Pogacar monte plus vite que Marco Pantani qui avait recours à des dopants capables de booster les performances de 10 à 12 %

D’après les informations détaillées dans l’article en bas de page1, voici les différences spécifiques de rendement entre un vélo moderne et un ancien vélo sur la base des résultats des tests effectués :

Puissance en côte

  1. Différence de puissance :
    • La différence de puissance moyenne mesurée dans les tests est de 9,5 watts (317,6 watts pour le vélo moderne contre 308,1 watts pour l’ancien vélo).
  2. Rigidité et efficacité :
    • La rigidité du vélo moderne (Lapierre) permet aux cyclistes de produire environ 10 watts de plus lors d’un effort intense de type contre-la-montre.
    • En raison de la moindre rigidité, l’ancien vélo (Pinarello) absorbait 3,1 % de l’énergie des cyclistes, énergie qui ne pouvait pas être utilisée pour propulser le vélo en avant.
  3. Impact sur la vitesse :
    • Cette absorption d’énergie se traduit par un gain de 0,7 km/h en montée pour le vélo moderne.
    • En moyenne, cela a conduit à une différence de 18 secondes entre les vélos sur une montée de 3 km.
  4. Projection sur une ascension longue :
    • En projetant ces résultats sur l’ascension finale de 18 km du Galibier, qui a le même gradient moyen que la montée testée, Grappe a calculé qu’il y aurait une différence de 2 minutes et 6 secondes entre les deux vélos.
  1. Grappe et Al, 2009, Comparaison des vélos modernes et anciens, Procycling Aout 2009, p 98-103. ↩︎

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