BILAN DU MONT VENTOUX 2025 : RECORD OU PAS RECORD ?

Nous avions écrit plusieurs articles sur l’ascension du Mont Ventoux en 2013. À cette époque-là, Christopher Froome dominait le Tour de France avec un style de pédalage en survitesse pour le moins étonnant. Beaucoup à l’époque justifiaient ses performances par sa cadence de pédalage et les plateaux ovales qu’il utilisait. Aujourd’hui, plus personne ne tente de justifier des performances avec les plateaux ovoïdes ou une surcadence de pédalage. Et pour cause, Tadej et Jonas n’utilisent pas ces méthodes-là, alors il faut inventer autre chose pour entretenir le mythe et l’illusion de ces cyclistes aux puissances miraculeuses.

Plusieurs articles de presse confirment que Tadej Pogacar a battu le record de la montée. Mais en réalité, c’est plutôt Jonas qui a battu le record, car il est celui des deux qui s’est le plus exposé au vent. En effet, le 22 juillet dernier, il ne faisait pas très chaud en haut du Ventoux et avec un vent de Nord-Ouest de 30 km/h. La première partie depuis Bédoin jusqu’au célèbre virage de St Estève s’est donc faite avec un vent plutôt favorable. Ensuite, dans les bois jusqu’au Chalet Reynard, le vent est considéré comme nul car la route se trouve en forêt. Dans la partie finale, le vent est défavorable. Toutefois, les coureurs sont partiellement protégés par le public. Sur l’ensemble de la montée, le vent peut être considéré comme peu gênant. Si cette hypothèse est valable, nous devrions l’observer dans les calculs de puissances qui nous donnent des valeurs similaires à celles publiées par les cyclistes comme Oscar Onley et Kevin Vauquelin.

L’ascension complète depuis Bédoin : bilan historique

Le KOM Strava actuel mesure 20.74 km, il manque 560 mètres par rapport à certaines références connues telle que le CLM du Tour de France 1958. Il faut donc ajouter 1 à 1’10 » environ au temps Strava pour comparer cela avec le temps de Charly Gaul.

Le dimanche 13 juillet 1958 l’ascension en CLM depuis Bedoin est remporté par Charly Gaul en 1h02’09 ». Une performance dont la puissance peut être estimée à 403 watts ± 7 (étalon 70 kg) avec un vélo de 10,5 à 11 kg qui était la moyenne pour les vélos de cette époque là. La distance du CLM que nous avons pu vérifier et remesurer avec les images d’archives est exactement 21.3 km pour un dénivelé de 1581 mètres. Une performance qui vaut environ 59’40 » avec un vélo moderne et qui est équivalente, voir sensiblement meilleure que celle d’Eddy Merckx 12 ans plus tard. La performance de Chaly Gaul est vraiment extraordinaire, et les écarts sont considérables avec ses rivaux, Jacques Anquetil étant relégué à 4 minutes par exemple.

En 1970, Eddy Merckx avait monté le Ventoux en 1h01’42 » avec un vélo de 10 kg, soit 3 kg de plus que les vélos employés depuis le milieu des années 90. (Marco Pantani en 1995 avait un vélo de moins de 7 kg avec cadre en titane). Cette performance semble loin des cyclistes modernes, mais compte tenu du poids du vélo, des pneumatiques probablement moins performantes en 1970, la puissance d’Eddy Merckx est de 398 watts ± 7 (étalon 70 kg). Cette puissance est exceptionnelle, et en réalité, les cyclistes n’ont que très peu progressé en termes de performance si l’on tient compte de l’évolution du poids des vélos en montagne. En effet, Christopher Froome en 2013 était monté en un peu moins de 59 minutes, ce qui lui confère une puissance très proche de celle d’Eddy Merckx qui, avec un vélo moderne, serait monté en 59’50 » environ, soit environ 2 minutes de mieux. En outre, la position d’Eddy Merckx sur le vélo est sensiblement plus basse que les positions modernes, il est probable que cette différence puisse altérer le rendement mécanique et musculaire. Quant à la cadence de pédalage d’Eddy, elle oscille entre 76 et 80 tours par minute, ce qui est très proche des cadences modernes. Pour vous donner une comparaison, Thymen Arensman tournait les jambes à 82 tours par minute lors de sa montée victorieuse à La Plagne cette année. On peut dire qu’Eddy Merckx est monté avec une puissance équivalente à celle de Christopher Froome en 2013.

Quant à Jean François Bernard, en 1987 lors du CLM (vélo 8.4 kg), il put réaliser un temps canon de 58’03 », soit une puissance de 416 watts, qui reste la plus grande performance de l’histoire avant l’ère du dopage à l’EPO. En effet, avec l’EPO, l’Espagnol Iban Mayo était parvenu à monter le Mont Ventoux en CLM en 55’51 » lors du Dauphiné Libéré, soit une puissance étalon de 70 kg de 435 watts, soit 4,5 % de mieux que la performance de Jean François Bernard. Toutefois, se pose la question du dopage en 1987, car les anabolisants, la cortisone et la transfusion sanguine étaient à la mode. Le rééquilibrage hormonal était monnaie courante dans les années 80 sous l’impulsion du Dr François Bellocq. On notera toutefois qu’il n’y a pas à notre connaissance d’affaire visant Jean François Bernard en matière de dopage. Soit il était exceptionnellement talentueux, soit il est passé à travers les mailles du filet.

En 1994 à l’issue d’une étape de 231 km, c’est Marco Pantani qui réalise la montée la plus rapide en 57’34 », soit une puissance étalon de 419 watts ± 7. En 2000, Marco Pantani l’emporte également en 59′ lors d’une montée moins rapide que ce dont il nous avait habitué.

En 2009, Alberto Contador contrôle ses adversaires directs et monte en 58’45 », soit une puissance étalon de 409 watts ± 7.

Il convient d’estimer si l’on observe une petite différence entre les ascensions réalisées lors d’un CLM et celle réalisées lors d’une étape de plusieurs heures. Un CLM permet d’effectuer l’effort avec un peu plus de fraicheur, mais sans bénéficier du moindre abris derrière d’autres cyclistes. On observe, au cours de l’histoire du Tour de France que les performances réalisées lors des CLM sont à peine plus rapide. Par exemple dans le CLM de l’Alpe d’Huez 2004 les performances ne sont meilleures que d’une trentaine de secondes lors du CLM pour les meilleurs de l’époque, comme Lance Armstrong ou Jan Ullrich. On peut estimer que lors d’un CLM les cyclistes professionnels peuvent gagner une dizaine de watts.

Les circonstances de courses peuvent aussi expliquer des performances moins rapides, notamment en 2000 et 2009 ou le classement général est figé et ou les coureurs n’ont pas de grands intérêts à se donner à 100%.

Que ce soit avec Charly Gaul, Eddy Merckx, Jean François Bernard, Marco Pantani, Alberto Contador et Iban Mayo nous pouvons dire sans exagérer que toutes ces performances étaient déjà réalisées avec des dopants plus ou moins efficaces, allant des amphétamines à l’EPO, et en passant par la cortisone, les anabolisants et la transfusion sanguine. Aucune de ces performances ne peut être considérée vierge de toute méthode de dopage.

Tableau récapitulatif des records de l’ascension du Mont Ventoux par Bédoin

AnnéesCyclistesTemps brutTemps standardisé (correction poids du vélo 6.8 kg)Puissance standardisé vélo 6.8 kg en tenant compte de l’abriType d’ÉtapeObservation :
SCx estimé
Puissance corrigée selon le type d’étape (CLM ou étape longue + 10 watts) et standardisé 1 heure (FTP)
1958Charly Gaul1h02’09 »59’40 »403 watts ± 7
Crr 0.006 (route pas très bonne)
Vélo 11 kg
Contre la montre TDF21.3 km, 1581 m de dénivelé.
SCx 0.35
405 watts
1970Eddy Merckx1h01’49 »59’50 »399 watts ± 7
Crr 0.006
Braquet 42×24
Cadence moyenne 70 à 80 tr/min
Vélo 10 kg
Étape 164 km3/4 de l’ascension seul.
SCx 0.325
411 watts
1987Jean François Bernard58’04 »57’30 »418 watts ± 7
Crr 0.005
Vélo 8.4 kg
Contre la montre TDF36 km Carpentras Bedoin – Ventoux. Changement de vélo à 16 km du sommet après Bédoin
SCx 0.325
416 watts
1994Marco Pantani57’34 »57’34 »415 watts ± 7
Crr 0.005
Vélo 7 kg
Étape 231 km11 km en solitaire
SCx 0.31
428 watts
2000Marco Pantani
Lance Armstrong
59’05 »59’05 »401watts ± 7
397 watts ± 7
Crr 0.005
Étape 149 km 4h15Pantani très offensif et exposé au vent 50% du temps.410 watts
2002Lance Armstrong59’00 »59’00 »402 watts ± 7
Crr 0.005
Étape 220 km12 km en solitaire
SCx 0.32
416 watts
2004Iban Mayo55’51 »55’51 »435 watts ± 7
Crr 0.005
Contre la montre – Dauphiné LibéréSCx 0.35431 watts
2009Alberto Contador58’45 »58’45 »403 watts ± 7
Crr 0.004
Étape 167 km 4h39Contador contrôle Andy Schleck, abris 90% du temps
SCx 0.27
412 watts
2013Christopher Froome58’50 »58’50 »409 watts ± 7
Crr 0.004
Étape 242 kmAbrité 2/3 du temps, puis attaque
SCx 0.285
423 watts
2025Jonas Vingegaard
Tadej Pogacar
54’41 »54’41 »431 watts ± 7
425 watts ± 7
Crr 0.0035
Étape 172 kmAbrité 95% du temps. Pogacar contrôle Vingegaard qui sera plus exposé au vent.
SCx 0.29
SCx 0,26
437 watts
431 watts
2025Kevin Vauquelin57’55 »57’55 »401 watts ± 7
Crr 0.0035
Étape 172 kmCapteur de puissance 395 watts pour 69 kg annoncé.409 watts
2025Paret Peintre
Ben Healy
59’17 »59’17 »390 watts ± 7Etape 172 kmAbrité 2/3 de l’ascension389 watts
La puissance standardisée de la dernière colonne permet de comparer les performances des cyclistes sur un effort d’une heure (FTP). En effet entre 20 et 60 minutes les cyclistes d’élite perdent environ 1 watts toute les minutes. (400 watts sur 20′ donnera 360 sur 60′). Nous avons aussi majoré de 15 watts les performances réalisées en fin d’étape très dure (fort dénivelé et >200 km et 10 watts pour les étapes < à 200 km et avec moins de dénivelé avant le Ventoux.

Ce qu’il faut retenir, c’est que dès les années 1960, les cyclistes professionnels étaient déjà capables de développer 400 watts pendant une heure, alors même que l’EPO et les méthodes de transfusion sanguine étaient inexistantes. Ce qui permet de mettre en évidence des limites de la performance humaine et de constater que les performances ont en réalité très peu évoluées en 60 ans, si l’on exclut les performances sous l’emprise de dopants puissants. Les gains sans dopage sont de l’ordre d’une dizaine de watts entre les années 60 et de nos jours. Ce qui suggère que l’entraînement et la nutrition n’ont qu’une toute petite part dans l’évolution des performances. Si les temps sont plus rapides dans les ascensions c’est en grande partie grâce à l’évolution du poids des vélos. En 1958 les vélos pesaient entre 11 et 11.5 kg, en 1987 Jean François Bernard utilisait un des premiers cadre carbone de chez Look avec un vélo affichant 8.4 kg. Celui de Marco Pantani était déjà 6.8 kg en 1995, ce qui correspond à la limite qui est désormais réglementé.

Avec un vélo de 11 kg, des pneumatiques moins bonnes et la route de 1958, Jonas et Tadej auraient monté le Ventoux non pas en moins de 55 minutes mais en 59 minutes, soit quelques 3 minutes de mieux que Charly Gaul. La différence est en grande partie explicable par les méthodes de dopage (transfusion, EPO, ITT…) et non par les méthodes d’entraînement contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire.

C’est un comble pour un entraîneur comme moi de dire que l’entraînement explique très peu l’évolution des performances maximales humaines. Et pourtant, cela est vrai. L’entraînement, c’est surtout ce qui permet d’atteindre plus vite son plein potentiel, d’arriver en forme au bon moment, d’éviter le surentraînement, les blessures, de peaufiner quelques détails. L’entraînement n’est pas une science qui permet à un gars qui s’entraîne 500 à 1000 heures par an depuis 8 à 10 ans et disposant de 85 de VO2max de passer d’un seul coup à 95 de VO2max. Ça, c’est de la fiction, seul le dopage permet cela. L’entraînement en cyclisme est très efficace dès le milieu des années 80 avec l’arrivée des cardiofréquencemètres, et même les premiers capteurs de puissance sur le moyeu arrière en 1989. Sur cette vidéo vous pouvez découvrir le premier capteur Maxone Look utilisé par Marc Madiot dans le CLM d’Orcières Merlette. Certes, les cyclistes planifient mieux leur saison, gèrent mieux les pics de forme, mais globalement les pics de performances sont du même niveau si l’on tient compte de l’évolution du matériel et du dopage. « En tant qu’entraineur, je pouvais aider des sportifs à retrouver leur niveau après une longue interruption, à arriver en forme au bon moment, à atteindre leur potentiel maximal plus facilement. Mais en tant qu’entraineur je n’ai jamais transformé un athlète déjà très actif en un super champion. »

Si l’on observe l’évolution des records du monde du 10000 mètres en athlétisme on voit clairement qu’entre 1965 et 1992 il y a un plafonnement qui sera débloqué 2 ans après la mise sur le marché de l’EPO. On observe également la progression fulgurante des années 1960 qui coïncide avec le moment ou le « Dianabol » va diffuser dans les sports d’endurance. Cet anabolisant permet d’encaisser de très forte charge d’entrainement en favorisant la réparation des fibres musculaire et en agissant sensiblement sur la production de globule rouge. Depuis la fin des années 1990 on observe un très net plateau de performance. La progression semble lié à des pistes d’athlétisme et chaussures plus performantes. Les méthodes de dopage semblent plafonner depuis l’arrivée de l’EPO.

Validation des calculs de puissance 2025

Nous pouvons nous appuyer sur les 3 coureurs bagarrant pour le classement général qui ont publié leurs puissances. Il s’agit d’Oscar Onley (62 kg), Kevin Vauquelin (69 kg) et Tobias Johannessen (62 kg) qui affichent chacun 373, 398 et 354 watts.

En appliquant notre modélisation (Crr 0.0035, Densité de l’air 1.024, SCx de coureurs très abrités du vent 0.26-0.29), nous trouvons 373, 397 et 353 watts, soit une erreur maximale de 2 watts par rapport aux mesures des capteurs de puissance. Ce qui nous permet de confirmer que Jonas Vingegaard a développé environ 430 watts étalon 70 kg pendant 54’41 ». Cela relève d’une performance « Hors Norme » si l’on passe cette performance sur notre détecteur de puissance extra-physiologique. Quant à Tadej Pogacar, il s’est contenté de gérer tranquillement son avance au classement général et de mettre une petite pique sur le sprint, histoire de bien rappeler à Jonas, avec une certaine arrogance, qui est le patron. Il développa quelques watts de moins dans l’ascension, mais il n’a absolument pas poussé l’effort dans ses limites.

La montée finale depuis Saint Estève

Nous pouvons aussi calculer la puissance seulement à partir du virage de Saint Estève, soit 15.46 km et 1347 mètres de dénivelé.

On constate que les puissances sont identiques sur les 15 derniers km ou sur les 21 km qui commencent à la sortie de Bedoin. Onley, Vauquelin et Johannessen développent les mêmes valeurs que sur l’ascension complète.

Conclusion

Il est très clair que les performances de Jonas Vingegaard (431 watts) et Tadej Pogacar (425 watts) pendant 55 minutes sont hors normes. Ils battent les records d’anciennes légendes déchues, dopées jusqu’aux oreilles, telles que Lance Armstrong (416 watts), Marco Pantani (428 watts), Jan Ullrich (415 watts)… En réalité, Tadej et Jonas pouvaient aller encore plus vite, mais ni l’un ni l’autre n’avaient en réalité de raisons suffisantes pour donner la pleine mesure de leur potentiel mutant. En effet, Tadej n’avait qu’à contrôler son rival pour gérer son avance. Quant à Jonas, il avait un tel écart à combler qu’il savait que, sans défaillance de la part de Tadej, la partie était perdue d’avance. Il s’est battu pour la beauté du sport et le spectacle, et si Tadej avait cédé, alors nous aurions vu un Jonas s’employer un peu plus dans le final.

Lors du CLM de la montée de Peyragudes, nous avons pu voir que Tadej Pogacar est capable de développer 500 watts étalon 70 kg pendant 17’32 ». Ce qui confirme que l’ascension du Mont Ventoux ne s’est pas faite à plein régime pour les deux leaders qui avaient encore 10 à 15 watts de réserve.

Les hypothèses visant à justifier les performances surréalistes de ces deux coureurs qui bénéficient d’un meilleur matériel, d’un meilleur entraînement et d’une meilleure diététique que les dopés des années 1995 à 2010 sont irrecevables, car non démontrées. Et lorsqu’on se penche sur la différence de matériel, on constate que les vélos de 2025 ne sont pas significativement supérieurs à ceux de 2000 pour expliquer de telles performances. Dans l’état, je pense, et nous avons le droit de penser ce qu’on veut, que ces performances ne sont possibles qu’en ayant recours à des méthodes de dopage que les contrôles antidopage laissent passer sans problème. Dans un prochain article nous montrerons que le passeport biologique et les contrôles antidopage sont si peu efficaces qu’ils peuvent être qualifiés de bidon pour celui qui connait les règles.


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